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Allégorie du pouvoir tyrannique
Origine : Guide artistique de la province de Sienne, Yves Le Guerc, juin 2019, URL: "https://provincedesienne.com/2019/06/27/allegorie-du-mauvais-gouvernement/" Image représentant l’allégorie du pouvoir tyrannique, une des parties de la fresque réalisée par Ambrogio Lorenzetti, Allégorie du Mauvais Gouvernement, 1338–1339, 200 x 1440 cm, Sienne, Palazzo Pubblico, Sala dei Nove. Cette fresque monumentale, peinte par Lorenzetti sur le mur ouest de la Salle des Neuf (Sala dei Nove) dans le palais communal de Sienne, fait partie d’un cycle allégorique majeur illustrant les conséquences politiques et sociales d’un bon ou d’un mauvais gouvernement. Elle se lit de droite à gauche en trois sections : l’allégorie du pouvoir tyrannique, les effets dans la ville et les effets dans la campagne.

« Les palais communaux en Italie médiévale» selon Giuliano Milani

Compte rendu de séance du 29 avril 2025

Thématique présentée par le spécialiste Giuliano Milani dans le cadre du séminaire : "Lieux de Justice (2024-2025)" organisé par madame la professeur Diane Roussel.

 

Dans le cadre de ce séminaire, Giuliano Milani, spécialiste de l’histoire politique et institutionnelle des communes italiennes entre le XIIᵉ et le XIVᵉ siècle, a poursuivi son analyse des palais communaux. Cette intervention prolonge les réflexions précédentes, centrées sur les liens entre lieux de justice et espace urbain, ainsi que sur les transformations politiques et architecturales de ces bâtiments. Cette fois, après avoir étudié leur fonction signalétique, le chercheur s’attarde sur les vestiges iconographiques conservés dans les palais communaux, qu’il analyse dans leur double dimension : allégorique, en tant que mise en image du pouvoir et des valeurs civiques, et documentaire, lorsqu’elles constituent les seules traces visuelles d’événements ou de pratiques politiques aujourd’hui disparus. Ces représentations participent pleinement à la construction d’une mémoire collective et à l’affirmation des identités urbaines. Il est important de souligner que ces vestiges iconographiques sont relativement rares et que peu ont traversé les siècles dans un bon état de conservation. Cependant, grâce aux avancées de la recherche, aux redécouvertes récentes et aux nouvelles techniques de préservation, notre compréhension de ces témoignages visuels s’enrichit progressivement.

 

Iconographie et justice dans les palais communaux : de l’héritage ecclésiastique à l’affirmation du pouvoir civique en Italie médiévale

 

Au Moyen Âge, le pouvoir s’incarne principalement à travers la justice. Celle-ci est rendue dans des lieux conçus pour manifester physiquement l’autorité. En Italie, on privilégie les espaces hérités de l’Antiquité (forums, basiliques, arènes), mais aussi les cours ecclésiastiques, dont l’organisation spatiale et iconographique reflète une hiérarchie spirituelle. Dans les salles de justice des palais épiscopaux, les arches y séparent clercs et laïcs, et des programmes visuels différenciés sont à disposition selon leur position dans l’espace. À Rome, la salle de l’Aula Gotica en offre un exemple remarquable : d’un côté, des images du cycle naturel et des arts libéraux destinées aux laïcs. De l’autre, trente figures féminines en armure symbolisant des vertus triomphant des vices, orientées vers les clercs, juges spirituels. Cette structuration visuelle met en scène une conception duale des fonctions de chacun. La dynamique laïque s’inscrit dans le cycle naturel et dans une trajectoire de perfectionnement rendue possible par l’étude des arts libéraux, tandis que le modèle clérical se veut stable et exemplaire, fondé sur l’incarnation immuable des vertus éternelles.À partir du XIIᵉ siècle, l’émergence des communes bouleverse le paysage politique et urbain italien. Les palais communaux, conçus pour incarner un pouvoir civil autonome, deviennent des centres de gouvernement et de justice, tout en se dotant d’une iconographie propre. Dès le XIIIᵉ siècle, leurs premiers décors s’inspirent de thématiques chevaleresques, antiques, voire érotiques. La violence y est reléguée aux marges, dans les frises ou les espaces secondaires, traduisant une volonté de mettre en avant les idéaux civiques de paix et d’ordre. Progressivement, l’influence religieuse s’affirme, avec l’intégration de scènes telles que le Jugement Dernier, rappelant que la justice communale s’inscrit dans un cadre moral supérieur. Dans la seconde moitié du XIIIᵉ siècle, l’ascension du popolo – les classes moyennes urbaines traditionnellement exclues du pouvoir – marque un tournant. Dans des villes comme Florence, Bologne ou Pérouse, ces groupes instaurent des gouvernements populaires. Cette nouvelle réalité sociale se reflète dans l’iconographie : apparaissent alors des fables critiques, des scènes de solidarité urbaine, ainsi que des représentations du travail ou du cycle naturel. L’imagerie civique se démocratise, rompant avec l’esthétique héroïque des élites militaires pour affirmer des valeurs collectives, morales et éducatives, en lien avec les aspirations du corps social émergent. Vers le milieu du XIVᵉ siècle, cette évolution iconographique aboutit à des programmes allégoriques cohérents, comme celui du Palazzo Pubblico de Sienne. Dans la Salle de la Paix, le cycle du Bon et du Mauvais Gouvernement, peint par Ambrogio Lorenzetti, illustre deux visions opposées du pouvoir. D’un côté, une cité prospère gouvernée par la justice, la sagesse et le bien commun ; de l’autre, un monde de chaos dominé par la tyrannie et la violence. Ce programme, conçu comme un miroir allégorique du pouvoir, vise à guider les gouvernants dans l’exercice d’une justice équilibrée, à la fois distributive et rétributive. Ainsi, les palais communaux, en s’inspirant des dispositifs symboliques des cours ecclésiastiques, les transforment en un langage politique laïcisé. L’image devient un outil de légitimation civique, un vecteur d’éducation politique et un reflet des mutations sociales qui traversent les communes italiennes médiévales.

 

L’image fait foi : mise en scène, mémoire et sanction visuelle du pouvoir médiéval

 

Au-delà de leur présence dans les palais communaux, les images apparaissent également dans d'autres contextes, où elles jouent un rôle fondamental dans la mise en scène et la légitimation du pouvoir. Certaines ont pour fonction de solenniser des documents officiels, tels que les chartes ou les diplômes. Dans bien des cas, ces représentations constituent la seule trace visuelle d’un événement, renforçant ainsi la légitimité d'un acte juridique ou politique. Ainsi, une fresque du monastère du Sacro Speco de Subiaco figure le pape Innocent III remettant un diplôme à la communauté monastique, bien qu’il soit très improbable qu’il s’y soit déplacé en personne. L'objectif est ici de rendre visible un acte symbolique, qu’il soit fondé sur un événement réel ou sur une construction imaginaire. Certaines images remplissent même une fonction performative, en créant une réalité par leur simple représentation. Ainsi, des fresques aujourd'hui disparues du palais du Latran montraient plusieurs souverains pontifes piétinant des antipapes, affirmant de manière symbolique leur victoire. Ces représentations ne se bornent pas à illustrer un événement : elles en imposent l'existence et contribuent à en forger la mémoire officielle. Enfin, certaines images ont pour fonction de condamner et de stigmatiser. À Mantoue, un ensemble de fresques du palais communal représente plusieurs traîtres à la commune, condamnés à contumace à travers des peintures infamantes où ils sont figurés avec une bourse autour du cou, symbole de leur trahison. Ces représentations visent à entretenir la mémoire du déshonneur, notamment dans les cas de bannissement ou de dettes impayées. Les individus ayant fui ne pouvant être punis physiquement, ils sont ainsi exposés symboliquement, afin de maintenir vivace le souvenir de leur faute et de transmettre ce grief aux générations suivantes. Toutefois, cette mémoire fragile peut être effacée par l'application d'une nouvelle couche d'enduit ou remplacée par une fresque alternative, redéfinissant ainsi le message transmis.

 

Rédigé par Ethan Naal, étudiant en M2 recherche Histoire université Gustave Eiffel, n°28129 .

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