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Ce séminaire a été présenté par Anne-Emmanuelle Veisse, professeure d’histoire ancienne spécialiste d’histoire grecque, d’histoire politique et sociale de l'Egypte hellénistique, de l’histoire de l'Empire lagide en Méditerranée orientale et de papyrologie

 

Quel est le principe de la justice à Athènes?

 

La justice à Athènes au IVe siècle avant J.C, est l’un des piliers de la démocratie. Elle repose sur la participation des citoyens et l’absence de magistrats professionnels. Ce système, bien que garantissant une large implication du peuple, présente des limites, notamment une forte influence de la rhétorique et des risques de manipulation politique.

À Athènes au IVe siècle av J.C., la justice n’est pas administrée par des juges de métier, mais par des citoyens tirés au sort. Ce système garantit donc en théorie une plus grande égalité entre les citoyens en évitant la mainmise d’une classe spécialisée sur l’appareil judiciaire. La participation au système judiciaire est considérée comme un devoir civique, au même titre que le vote ou la participation aux institutions de la cité. On distingue 4 tribunaux principaux :

  • L’Héliée rassemble plusieurs tribunaux appelés les dikastèria sont présidés par des magistrats et dont les activités se situent sur l’Agora d’Athènes. Les tribunaux sont composés de 6000 citoyens appelés les héliastes, âgés de plus de 30 ans, et qui sont tirés au sort chaque année. Ils ne jugent jamais ensemble et sont repartis dans des tribunaux différents en procès privés et procès publics (dikai et graphai) de 201 ou 401, de 501, 1001, 1501 ou 2501 dicastes selon les sources
  • L’Aréopage est composé d’anciens magistrats appelés les archontes. Ce tribunal a pour rôle de juger les meurtres, les incendies criminels et les empoisonnements. Il a pour vocation de fonctionner comme une cour d’appel dans certains cas. Cette institution aristocratique est l’une des plus anciennes d’Athènes.
  • La Boulè est un conseil restreint qui prépare les décisions de l’Ecclésia et administre la cité au quotidien. Elle est composée de 500 citoyens appelés les bouleutes qui sont tirés au sort chaque année. Elle a pour rôle de préparer des lois et des décisions soumises à l’Ecclésia, elle a la gestion des finances publiques et du budget de la cité. Comme l’Ecclésia, elle peut surveiller des magistrats et des affaires judiciaires, elle a le contrôle de la flotte et de l’armée et elle est présente lors des réceptions des ambassadeurs et des gestion des affaires diplomatiques.
  • L’Ecclésia est l’assemblée souveraine où tous les citoyens athéniens peuvent participer et voter. Elle a pour rôle de voter des lois et des modifications de la Constitution, elle permet l’élection et le contrôle des magistrats (archontes, stratèges). Elle peut faire des déclarations de guerre et la conclusion des traités de paix, elle peut voter l’ostracisme qui est le vote pour exiler un citoyen jugé dangereux pour la démocratie et elle peut rendre un jugement des crimes politiques graves, comme la haute trahison.

 

À Athènes, il n’existe pas de procureur général ni de ministère public chargé de poursuivre les infractions. Ce sont les citoyens eux-mêmes qui doivent engager les poursuites, ce qui implique une forte responsabilisation. Lorsqu’un citoyen commet une infraction, il existe deux types d’actions judiciaires qui sont disponibles :

  • La dikê qui est un procès privé intenté par un individu contre un autre par exemple pour des affaires de vol, de meurtre, de dette impayée.
  • La graphê qui est un procès public où tout citoyen peut poursuivre un autre s’il estime que son acte nuit à l’ensemble de la communauté par exemple pour des affaires d’impiété, de corruption.

La durée des procès varient pour les procès privés avec un jugement de 3 à 4 cas dans une journée alors que pour les procès publics c’est un par journée.


Comment se déroulent les procès?

 

Les citoyens athéniens pouvaient porter plainte pour litiges privés (dikè) ou pour des crimes publics (graphè). Un citoyen qui initie un procès le fait en déposant une plainte auprès d’un magistrat ou en soumettant l’affaire à un tribunal populaire, selon la nature de l’infraction.

L’accusation devait être claire et souvent accompagnée de preuves tangibles, telles que des témoignages, des documents écrits (comme des contrats ou des actes juridiques) ou des preuves matérielles. À Athènes, il y a 10 achontes dont certains qui instruisent certaines affaires avant de les transmettre aux tribunaux et désignent un arbitre public chargé de résoudre l’affaire avant le procès sinon l’affaire passe à l’Héliée. Les thesmothètes eux veillent à l’application des lois et supervisent l’organisation judiciaire. Ils ont la responsabilité de gérer le calendrier des procès et de veiller à leur bon déroulement. Les stratèges quant à eux interviennent dans les affaires militaires et politiques ayant une dimension judiciaire.
Lorsqu’un procès passe devant l’Héliée, les accusateurs et les accusés doivent prononcer des discours pour convaincre les juges, sans véritable contre-examen des faits. Il y a une possibilité de faire venir des témoins ou des synégores qui peuvent intervenir avec l’accusateur ou l’accusé.

Ensuite les héliastes se concertent pour voter sur la culpabilité ou non. Ils votent à bulletins secrets avec des jetons qui sont des disques de métal et le résultat du vote se caractérise par des tiges creuse qui sont pour la culpabilité de l’accusé et la tige pleine est au contraire pour la défense et la non culpabilité de l’accusé.

Il n’y a pas d’abstention possible et une fois le vote effectué, soit l’accusé  est non coupable ou soit il y a un second vote pour la peine. Si l’accusé est déclaré non coupable, il est déclaré innocent et est acquitté de toutes les charges, sinon on assiste à un nouveau procès sur les sentences appliquées à l’accusé dans lequel l’accusé et l’accusateur présentent la peine qui leur semble être adaptée pour le crime. Cependant, à cette époque, il n’existe pas d’avocat et donc l’accusé doit se défendre seul, bien qu’il puisse faire rédiger son discours par un ou plusieurs logographes qui sont des spécialistes de la rhétorique (par exemple Lysias ou Isocrate) ou bien des orateurs qui sont responsables de la plaidoirie et des discours destinés à convaincre les juges de la culpabilité ou de l'innocence des accusés, ainsi que de l'influence des décisions judiciaires on a pour exemple Démosthène ou Hyperidès. À l’issue du second procès, en cas de condamnation, les juges peuvent choisir entre différentes peines comme les amendes, l’exil de la cité, l’atimie qui est la privation des droits civiques des citoyens ou bien la peine de mort par ingestion de ciguë.

Cependant, la justice et les procès à Athènes sont soumis à de nombreuses critiques virulentes de la part de nombreux auteurs. En effet, les citoyens riches ont un net avantage, car ils peuvent se payer un logographe pour rédiger leurs discours. Les esclaves, métèques et femmes ne peuvent pas accéder à la justice en leur nom propre. Les juges étant des citoyens ordinaires, ils ne disposent pas de formation juridique. Les verdicts sont souvent influencés par des émotions, des préjugés ou des intérêts politiques. Certains procès sont utilisés pour éliminer des adversaires politiques un des exemple célèbre est le procès de Socrate en 399 av. J.-C., où l’accusation d’impiété et de corruption de la jeunesse masquent des motivations politiques (on y reviendra après). Enfin, l’absence de précédents judiciaires codifiés signifient que les verdicts peuvent varier pour des affaires similaires.

 

Des critiques adressées à l’institution judiciaire venant d’auteurs influents et le procès de Socrate comme révélateur des distensions judiciaires

 

Aristophane (vers 446–386 av. J.-C), le célèbre dramaturge comique athénien, a souvent utilisé ses pièces pour critiquer la société athénienne, y compris le système judiciaire. Dans ses œuvres, il s'attaque à la manière dont les procès étaient manipulés par des orateurs habiles et des intérêts politiques, tout en dénonçant l'influence excessive de l'euphorie démocratique sur la justice. Dans sa pièce Les Nuées (vers 423 av J.C), Aristophane critique la rhétorique et la manipulation des tribunaux par les orateurs, en particulier en représentant Socrate comme un philosophe qui corrompt la jeunesse et l'esprit judiciaire d'Athènes. Bien qu'il ne critique pas directement le système judiciaire, il se moque de la manière dont les discours peuvent altérer la justice. De plus, dans son autre pièce Les Guêpes (vers 422 av J.C), Aristophane se moque des citoyens d'Athènes qui passent leur temps à fréquenter les tribunaux et à devenir obsédés par les procès, montrant à quel point le système judiciaire pouvait être perverti et utilisé à des fins personnelles ou politiques.

Une autre critique est celle adressée aux sycophantes (diseurs de figues) qui sont des citoyens qui sont considérés comme des accusateurs malhonnête dans la société athénienne dans le but de multiplier les procès et d’obtenir la subvention (misthos) accordée a tous les citoyens participant aux procès s’élevant à 2 oboles selon les sources.
Lors du procès de Socrate, deux disciples de ce dernier, Platon et Xenophon, racontent l’absurdité du procès de la condamnation à mort de Socrate lors d’une mise en accusation à l’Héliée.

Socrate, né en 470/469 av J.C et mort en 399 av J.C., est un philosophe athénien qui a vécu 70 ans. Il naît en plein essor d’Athènes après les Guerres Médiques qui ont opposé les cités-états de la Grèce face à l’Empire Perse. Cependant, les choses changent avec la guerre du Péloponnèse après l’échec de l’expédition de Sicile qui entraine des pertes et d’autres revers et en 404 avant J.C capitulent devant Sparte avec des conditions catastrophiques et la démocratie est renversée pour être remplacée par la tyrannie des Trente jusqu’en 403 av J.C. Socrate n’a jamais eu de problèmes avec la justice et est un bon citoyen qui a servi lors de la Guerre du Péloponnèse en participant à 3 campagnes militaires et en 406 av J.C. il est dans la Boulè lors du procès des Arginuses et s’est opposé au jugement des stratèges.

En 399 av J.C, Socrate est mis en accusation par un certain Mélétos, un obscur poète. Socrate est accusé d’avoir influencé les jeunes à douter de l'autorité et à remettre en cause les traditions et les croyances de la cité (corruption de la jeunesse) mais aussi d’actes d’impiété à savoir l’enseignement de nouvelles idées religieuses, ce qui était vu comme une menace pour la religion traditionnelle d’Athènes.

Pour Platon et Xénophon, dans leur Apologie de Socrate, Mélétos agit au nom de 2 autres personnes un certain Lycon et un certain Anytos un riche tanneur exilé pendant la tyrannie des Trente en ayant perdu sa fortune et cet Anytos n’a pas de grief personnel envers Socrate le considérant comme un danger.

Socrate réfute les condamnations, il choisit de ne pas se faire assister lors du procès et il explique qu'il n'avait pas l'intention de corrompre les jeunes, mais de les inciter à réfléchir et à chercher la vérité par eux-mêmes. Socrate fut reconnu coupable par le tribunal, par 280 voix contre 221. Socrate ne propose aucune peine de remplacement face à l’accusation selon Xénophon alors qu’il propose comme peine de ne pas être condamné à mort, mais plutôt de continuer à mener sa vie philosophique en recevant une petite rémunération pour sa mission selon Platon. Il suggéra également de se voir offrir une place dans une maison d’honneur. Il fut condamné à mort par le tribunal par ingestion de ciguë. Selon Platon, Socrate mourut entouré des siens dans le livre de Platon intitulé Phédon vers 366 av J.C.

Selon Platon et Xénophon, la condamnation à mort de Socrate révèle les failles du système judiciaire Athénien.

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