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Compte rendu : le procès de Socrate

 

La justice à Athènes et le procès de Socrate (-399)

 

 

Vue du promontoire de la Pnyx d’Athènes (vers 1890) où se tenait l’assemblée des citoyens à Athènes, Grèce : photographie de Salles, André (1860-1929), 1893, Bibliothèque Nationale de France – Gallica).  http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb46544308j

 

Ce séminaire a été présenté par Madame Anne-Emmanuelle Veïsse, historienne spécialiste de l’antiquité et notamment de la période hellénistique et de l’Egypte lagide.

Les sources de cette conférence sont principalement des plaidoyers d'orateurs attiques que sont les grands orateurs ou logographes du Ve et IVe siècle avant J.-C. Elles proviennent en grande majorité de la cité d'Athènes. Ces sources provenant des logographes sont cependant grandement critiquables puisqu’elles cherchent à séduire le public plus qu’à raconter la vérité des faits.

Athènes est une démocratie depuis les tyrannies du VIe siècle (sauf à certains moments comme la période des trente tyrans). Dans la démocratie Athénienne, ce sont les citoyens eux-mêmes qui rendent la justice.

Plusieurs institutions importantes contrôlent la vie judiciaire d’Athènes. La plus importante est l'Héliée ou dikasteria qui fonctionne comme un tribunal et qui compte 6000 dicastes tirés au sort pour un an. Il existe aussi deux types de procès bien différents. Tout d’abord il y a les procès privés ou dikai. Ils réunissent 201 ou 401 dicastes. Ils s’opposent aux procès publics ou graphai qui réunissent 501, 1001, 1501 ou 2501 dicastes pour un procès qui dure une journée entière. Les juges bénéficient d'un misthos journalier ce qui n'est pas sans conséquences sur l'attractivité de l'activité. Certains magistrats sont élus : c'est le cas pour le domaine militaire où les magistrats sont appelés stratèges et pour le domaine financier. On peut donc déposer ses plaintes à différents magistrats.

L'Aéropage est un autre tribunal qui s'occupe des affaires d'homicides. La Boulè (conseil des 500) et l'Ecclésia (assemblée de tous les citoyens = à peu près 40000 en tout) disposent aussi, dans certains cas, de pouvoirs judiciaires qu'ils perdent au fil du temps.

Lors du procès des Arginuses, six des stratèges de la cité pourtant vainqueurs sont exécutés pour ne pas avoir ramassé les cadavres des pertes humaines, ce qui constitue un exemple de peine cependant exceptionnel.

 

Après avoir expliqué le fonctionnement de la justice athénienne, nous nous sommes concentrés sur l’exemple le plus célèbre de procès dans la cité. Il s’agit du procès de Socrate qui intervient dans une période troublée pour la cité qui vient de perdre son statut hégémonique au profit de Sparte après la guerre du Péloponnèse.

Les accusations contre Socrate sont multiples. Il est notamment accusé de corrompre la jeunesse et de ne pas reconnaître les divinités civiques. Les acteurs importants du procès sont Mélétos, un obscur poète, Lycon un obscur politique et Anytos un tanneur visiblement obscur. Socrate est aussi le maître d'Alcibiade, un riche athénien qu'on pourrait qualifier avec euphémisme de turbulent, mais aussi de Critias, membre des Trente Tyrans.

Le procès de Socrate expose, de manière contradictoire, les limites nombreuses de la justice athénienne, qui se révèle bien différente de la justice contemporaine. La justice athénienne se démarque pour plusieurs raisons. Tout d'abord l'équité dans l’exercice de la justice est à la base du processus puisque le tirage au sort reste l'élément décisionnel le plus utilisé. Ses limites sont néanmoins visibles puisque, par exemple, la participation à la vie judiciaire de la cité confère certains avantages non négligeables, à commencer par la rémunération. Celle-ci rend très attrayante l'activité de juge ce qui pose de nombreuses questions et exacerbe la jalousie. Cela cause plusieurs polémiques au cours du siècle.

Le système de défense et d'application des peines est lui aussi bien différent. En effet, il n’y a pas d'avocats, ce qui tend à renforcer le caractère égalitaire de la justice. Cela empêche une différence dans la qualité de la défense en fonction de l'argent. En contrepartie, le dénouement repose davantage sur les qualités d'orateurs des personnes directement concernées. L'accusé peut proposer sa propre peine après une première délibération. Il l’estime en opposition à la peine proposé par l'accusateur. Celle-ci peut évoluer puisque l’accusateur est amené à s'exprimer de nouveau après l'accusé. Cela permet à Socrate, selon les sources (et notamment son élève Platon ce qui biaise son point de vue), de narguer son auditoire puisqu'il ne se considère coupable d'aucun méfait. De plus, les lieux mêmes où s'exerce la justice sont différents, parfois plus accessibles pour les citoyens que la justice contemporaine, parfois même en extérieur. Athènes possède à l'époque classique sa prison en contrebas de l'Acropole.

 

Cependant, le système athénien présente aussi certaines limites importantes. Athènes est un modèle de société antique donc esclavagiste où les citoyens sont minoritaires (40 000 personnes). Seuls les hommes citoyens peuvent donc se défendre de manière égale. Les esclaves coupables de méfaits voient leurs maîtres comparaître devant la justice, pas eux. Les complots se révèlent également nombreux comme l'histoire de la cité le montre. Des affaires de corruptions sont connues à l’époque d’Alexandre mais existent de manière presque certaine à l’époque classique puisque l’on sait que la pythie (prêtresse d’Apollon à Delphes qui interprète les paroles des dieux, où les Grecs affluent pour lui poser des questions) a été corrompu à la même période. L’oracle de Delphes ayant été atteint par un tel scandale, c’est sans nul doute que la corruption est répandue puisque la prêtresse est l’une des personnes les plus importantes du monde grec.

 

Pour conclure, la justice athénienne s’avère bien différente du modèle de justice qui fonctionne aujourd’hui. Si quelques éléments ont été repris ou bien conservés, la grande majorité reste originale. La justice athénienne reste néanmoins l’un des étendards de la démocratie, du pouvoir du peuple, en tout cas de la minorité dominante, les citoyens. Le modèle de justice est sujet de bien des débats comme l’est d’ailleurs la citoyenneté et son obtention ce qui montre l’importance extrême de ces éléments dans la société. Si certains des aspects de cette justice paraissent plus équitables, son fonctionnement se heurte à certaines limites importantes. Cela permet en tout cas de pouvoir comparer et observer un système différent du nôtre et qui me semble, à bien des égards, plus égalitaire.

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