La justice urbaine aux époques médiévale et moderne repose sur une mise en scène spectaculaire des peines. L’approche inspirée de « l'éclat des supplices » de Michel Foucault souligne l’importance du spectacle judiciaire pour signifier la peine et en faire un outil pédagogique et dissuasif. Contrairement à aujourd’hui, où l’exécution des peines (principalement carcérales) est reléguée hors de l’espace public, la justice ancienne était largement exposée.
La peine devait être à la hauteur du crime et répondre à une double logique :
- logique judiciaire et exigence sociale : l’exemplarité de la peine a une visée pédagogique, c’est un avertissement dissuasif.
- logique expiatoire : c’est la société toute entière qui communie autour de l’échafaud et la victime expie pour l’ensemble de la société que le coupable a lésé de son crime.
La théorie de Michel Foucault est aujourd’hui nuancée par des historiens qui élargissent le champ d’étude pour ne plus se concentrer sur le sommet des exécutions mais inclure les différences régionales qui influencent les applications pénales ou les plus petits échelons judiciaires qui délivrent des peines non nécessairement mortelles.
La thèse sur les exécutions publiques à Paris au XVIIIe siècle de Pascal Bastien étoffe la compréhension de ces exécutions et nuance plus encore les théories foucaldiennes. Il démontre qu’elles servaient aussi à la justice à dialoguer avec la société, à l'issue d’une procédure inquisitoire secrète et non publique. La décision finale est proclamée et sa réception par le public est un moyen de jauger le consentement de la population et son adhésion à la justice rendue.
1. Les lieux et équipements de justice comme décor urbain
L’espace urbain est utilisé pour signifier la présence de la justice. Les condamnés étaient exhibés en places publiques, notamment aux Halles à Paris, où le dispositif infamant était imposant.
- La place de Grève : C’est un haut lieu d’exécution des criminels les plus importants (hérétiques, crimes de lèse-majesté) et des crimes les plus célèbres ayant donné lieu aux plus spectaculaires exécutions. Elle était un espace polyfonctionnel, public et fréquenté, pouvant accueillir à la fois des célébrations monarchiques et des supplices. A la fin de l’Ancien Régime, elle devient le lieu quasiment exclusif des peines de mort.
- Le parcours déshonorant du condamné : Tout l’espace urbain pouvait être le décor de l’exercice de la pénalité. Avant son exécution, le prévenu subissait une humiliation publique (ex. amende honorable, promenade infamante en chemise). Cette procession s’inspirait des rituels religieux et marquait la ville comme un espace régi par la justice, s’arrêtant par exemple devant le lieu du crime puis devant Notre Dame etc. Circuit expiatoire, liturgie religieuse et ritualisation judiciaire se mêlent dans la mise en scène de l’exécution.
- Le corps du supplicié : Le corps est un instrument de marquage spatial, délimitant spécifiquement les limites de la ville : pour punir les plus redoutables bandits de grand chemin et chefs de bandes, le corps des coupables était parfois morcelé et dispersé pour symboliser l’emprise de la justice sur l’espace urbain, soumis aux règles.
2. Du décor de justice au paysage du gibet : le cas de Montfaucon
Un gibet est un lieu de justice dédié à la pendaison puis à l’exposition des corps qu’on pouvait inhumer enfin à son pied. Celui de Montfaucon est un cas particulier de superstructure, un hapax bien documenté par des sources iconographiques où il est représenté de nombreuses fois. L’historien Pierre Prétou y a consacré plusieurs études.
- Un repère spatial : il apparaît sur toutes les cartes anciennes, balisant l’espace parisien. On remarque néanmoins sa désaffection progressive dans la transformation du paysage. Après son usage judiciaire, Montfaucon devient un lieu de dépôt des bouchers et équarrisseurs : un espace de relégation perpétuant son association à la mort.
- Un symbole persistant : bien que le gibet ait été détruit, il continue à exister dans l’imaginaire collectif. Son image est souvent reprise dans l’iconographie du XIXe siècle sous une esthétique de la ruine macabre. Il devient difficile d’accorder un réel crédit à ces dessins, qui représentent le gibet encore debout. Les XVe et XVIIe siècles fournissent au spectateur un paysage à gibet par la présence de l’édifice comme marqueur spatial parisien, qui devient par la suite un gibet de paysage dans l’imaginaire du XIXe siècle, qui le dépeint comme symbole créateur du décor.
3. L’apport des sciences archéologiques à l’histoire de la justice
L’interdisciplinarité offre une nouvelle perspective sur les lieux d’exécution et les pratiques punitives ; les sciences forensiques mais aussi l’archéologie permettent d’étudier la justice médiévale et moderne sous un nouveau jour. La transformation de l’historiographie permet aussi ce dialogue entre archéologie et histoire de la justice qui connait elle aussi un « tournant matériel » car la justice a besoin d’instruments qui sont autant la plume du greffier que le gibet.
- Les traces matérielles de la violence judiciaire : certaines nécropoles montrent des dispositions particulières des corps (ex : fractures des vertèbres suggérant des pendaisons, pierres sur les cadavres pour éviter leur "retour" sous forme de spectres). La justice façonne judiciairement les corps qu’elle violente et en est la maîtresse même après la mort. La position des corps permet aussi de percevoir les associations légendaires et/ou magiques liées à ces morts violentes.
- La reconstitution des sites d’exécution : les cartes anciennes, la toponymie et les photos aériennes permettent d’identifier d’anciens gibets.
L’étude des lieux d’exécution est essentielle pour comprendre la logique de la justice d’Ancien Régime. Elle implique une réflexion sur la dimension spatiale des rituels punitifs et sur l’apport des sciences matérielles à l’histoire de la justice. Le sujet est particulièrement propice à l’élargissement de l’éventail des sources à d’autres champs disciplinaires.
Halbot Asma