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La conquête des châteaux de la Maremme et de l'Amiata
Simone Martini, « La conquête des châteaux de la Maremme et de l'Amiata », 1328, Salle de la Mappemonde, Palais communale de Sienne.

Les palais de la justice communale et leurs images (G. Milani)

 

Les communes italiennes font officiellement partie du Saint-Empire-Romain-Germanique depuis 806 et elles sont membres du royaume d’Italie. L’Empereur est le garant de la loi et la justice peut être rendue dans les palais de la justice impériale. Au XIe siècle, le pouvoir impérial et son contrôle sur l’Italie du Nord s’amenuisent après la défaite de Frédéric Ier à Legnano en 1176 face à la ligue lombarde[1] et au pape. Ce conflit se conclut avec le traité de Constance (1183) dans lequel l’Empereur reconnait l’autonomie des cités. On observe une institutionnalisation des communes italiennes et une prise de contrôle du contado[2]. La justice dans les cités italiennes est d’abord gérée par les élites locales qui se font nommés « consuls ». Le système des Podestats (XI-XIIe siècles) se met en place dans les communes pour répondre au problème de partialité des anciens consuls. En effet, le Podestat vient pour une durée de six mois depuis une autre cité pour éviter les collusions et il est jugé sur ses résultats à la fin de son mandat avant d’être payé. Il vient avec des notaires et des juges pour s’occuper de la justice dans le palais communal. Les historiens du droit définissent la justice comme la forme de pouvoir la plus visible en Italie médiévale. Le pouvoir est d’ailleurs appelé par le terme latin iuridictio (iuri = justice et dictio = dire) qui signifie exercer la justice par les historiens du droit. Cet exercice du pouvoir ne s’exerce pas avec un pouvoir de coercition fort des individus comparés à la période antique et l’époque moderne avec le développement des services de police et de lieu d’emprisonnement. Les dirigeants des communes italiennes se représentent comme une force qui juge bien et attribue son dû à chacun. Durant cette conférence, G. Milani présente le cas du palais communal de la ville de Sienne, entre outil du pouvoir et pouvoir symbolique. La communication s’arrête ensuite sur le cas de Bologne et de l’organisation de la justice dans le palais. La présentation s’achève sur l’explication du rôle et de la fonction des images dans les palais communaux.   

La conférence de G. Milani nous apprend que la création d’un bâtiment communal comme lieu d’exercice de la justice est tardive. Durant le Haut Moyen Âge, la justice était le plus souvent rendue dans des espaces ouverts comme des places et le procès se passait à la vue de tous. Les deux modèles sont utilisés par les cités italiennes celui de la justice ecclésiastique et de l’héritage important du droit romain. L’édification d’un palais exprime une certaine configuration politique et une volonté politique précise. Le choix de lieu d’édification du palais de Sienne s’explique par la situation géographique de la ville. Le site de la ville de Sienne est formé autour de deux axes majeurs qui ont structuré son développement. Elle s’est développée le long de la via Cassia qui relie la ville de Rome à la plaine du Pô et de la route qui relie les Apennins à la mer. Ces deux routes ont structuré la ville qui forme une sorte de Y. Au point de jonction de ces deux axes majeurs, la commune a créé la place où est construit le palais de Sienne en 1295. L’histoire du palais communal de Sienne traduit les différentes phases politiques et la manière dont les pouvoirs successifs ont décidé d’investir le palais pour signifier leur autorité. La construction du palais coïncide avec un changement politique important et la mise en place du gouvernement des Neuf (1287-1355). Le début de la construction du palais commence en 1289 et se termine pour sa première phase en 1295. L’agrandissement du palais en 1314-1315 suit aussi l’élection de 1312. Il y a aussi l’ajout d’une chapelle et le début de la construction d’une tour commencée dans les années 1340 mais qui ne se termine pas à cause de la succession de violents épisodes de peste et de famine. La tour est terminée après l’intégration au duché de Toscane au XVIIe siècle dans une période où l’institution du palais a perdu du pouvoir. Le palais de Sienne permet de voir l’importance du pouvoir judiciaire et de l’utilisation de son image pour démontrer la puissance d’une institution.

L’agrandissement et la décoration des palais ne suivent pas un programme pré-établi et harmonieux : les palais évoluent au fil des besoins et des vicissitudes du pouvoir. Pour voir l’organisation et la diversification des fonctions d’un palais, G. Milani expose le cas de la ville de Bologne. Le premier palais qui est construit à Bologne est celui du Podestat qui est construit au XIIIe siècle. Il sert à la fois de lieu de résidence pour le Podestat et les juges mais aussi de lieu d’exercice de la justice. La grande salle des louves est le lieu où se réunissent les conseils et elle héberge aussi les tribunaux. Les tribunaux sont au nombre de six. Le premier tribunal enregistre les plaintes et les dépositions faites par le plaignant. Ensuite, l’affaire est redirigée vers un des tribunaux de quartiers[3] qui sont au nombre de quatre pour la gestion des affaires civiles et le dernier tribunal traite les affaires criminelles. Des salles plus petites étaient utilisées par le bureau des finances qui possède aussi des archives indépendantes. Le bureau des finances traite les contestations de l’estimation de l’impôts. À la suite d’une victoire militaire contre l’empereur et la capture d’un de ses fils, la commune créé un palais pour loger Re Enzo au Nord du palais du Podestat. Une annexe supplémentaire pour le capitano del popolo et une autre qui sert de réserve de grain sont construites par la commune. En plus de cela, des espaces sont loués par la commune à des particuliers (bureaux de notaire, des marchands et des changeurs).

Les images dans les palais communaux ont plusieurs fonctions. On peut en identifier trois. Elles peuvent avoir une fonction signalétique, c’est-à-dire que les images servent à orienter les gens vers les bons tribunaux. En effet, les tribunaux étaient nommés d’après un animal commun de l’héraldique (lion, aigle, cheval, mouton, bœuf, etc…) et qui se trouvait sur les blasons des quartiers. A Bologne par exemple, il y avait quatre quartiers et il y avait autant de tribunaux pour les affaires civiles. Lorsqu’un Bolognais devait comparaitre en justice, il allait vers l’image qui représente l’animal de son quartier et qui se situait au-dessus du siège du juge. Pour le cas des images allégoriques, elles servent dans les palais communaux à représenter la ville et la justice comme on peut le voir dans l’exemple de la mappemonde qui représente la ville de Sienne comme le centre du monde connue. Enfin, les images peuvent aussi avoir une fonction documentaire. Sur la fresque au-dessus de la mappemonde, figure un homme à cheval qui se rend dans trois châteaux qui sont reproduits assez fidèlement pour être reconnus. Ces trois châteaux ont été conquis par la ville de Sienne lors de son extension territoriale sur le contado. Ils sont représentés dans cette fresque pour montrer que la ville de Sienne est la propriétaire légitime du territoire et que celui-ci s’étend au-delà de la ville. Les fresques servent ainsi aussi à représenter l’exercice idéal du pouvoir.

            

 


[1] La ligue lombarde est une alliance créée en 1167 par des cités italiennes du Nord qui rejettent la tentative de Frédéric Ier d’imposer un impôt dans les villes italiennes.

[2] Ce sont les campagnes aux alentours des villes italiennes.

[3] Ils sont au nombre de 4 à Bologne mais leur nombre est variable entre 3 et 6 selon les communes.

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