CIPEN

#


 

Compte-rendu de séance : Le travail des femmes au Moyen Age

Cécile Beghin, « Donneuses d’ouvrages, apprenties et salariées aux XIVe et XVE siècles dans les sociétés urbaines languedociennes », Clio, 1996/1 n° 3, p. 31-54.

 

Cécile Béghin, dans son article « Donneuses d'ouvrages, apprenties et salariées aux XIVe et XVe siècles dans les sociétés urbaines languedociennes », publié en 1996 dans la revue Clio. Histoire, femmes et sociétés, explore le travail des femmes dans les sociétés urbaines du Languedoc à la fin du Moyen Âge. L'autrice, qui s’intéressait d’abord à l’histoire des familles puis à une histoire économique et sociale, s'inscrit dans une historiographie de l'histoire des femmes qui s'est développée à partir des années 1970, avec des figures pionnières comme Eileen Power ou Michelle Perrot. Clio, revue créée en 1995 sous l'impulsion de Michelle Zancarini et Michelle Perrot, vise à analyser l'histoire sous l'angle du genre, ici dans le domaine du travail et des corporations.

Les illustrations de l'article de Sylvain Piron, « Ève au fuseau, Adam jardinier », qui représentent Adam et Ève au travail après leur expulsion du Paradis, illustrent la répartition genrée des tâches : Adam travaille la terre tandis qu'Ève file la laine. Cette image met en lumière la visibilité de l’activité des femmes, particulièrement dans le domaine textile, même si ce travail est souvent moins valorisé.

L'article de Cécile Béghin se fonde principalement sur des sources notariées de Montpellier, qui permettent de découvrir la place des femmes dans le monde du travail au travers des contrats d'apprentissage, des embauches salariées et des commandes d'ouvrage. Ces documents révèlent une certaine autonomie économique des femmes, bien que leur rôle dans les corporations soit souvent sous-estimé. Cette approche s'inscrit dans l'historiographie du travail féminin, qui a longtemps été marginalisée dans l'histoire économique. En effet, malgré les travaux de chercheurs comme Claudia Opitz ou David Herlihy dans les années 90, les questions économiques restent peu traitées dans l'histoire des femmes. Cependant, faire une synthèse à partir d’actes notariés pose de nombreuses questions quant à la représentativité de ces cas particuliers.

Matthieu Scherman prend l'exemple de Trévise au XVe siècle. La ville, conquise par Venise, met en place des « estimi », c'est-à-dire des recensements fiscaux destinés à évaluer les contributions à l'impôt. Ces sources fournissent des données essentielles sur la population productive et sur leur évolution des situations économiques. Les estimi deviennent plus précis au fil du temps, incluant des informations sur l'âge et la composition des foyers.

Les sources mettent en évidence la présence des femmes comme cheffes de famille dans ces documents. Cette catégorie tend toutefois à diminuer avec le temps, notamment à partir de la fin du XVe siècle. Si les veuves pouvaient être auparavant déclarées comme cheffes de famille, cette reconnaissance s'efface progressivement laissant la place à la mention des enfants. La peste de 1486 accentue cette tendance, car les femmes sont les premières touchées par la précarisation du travail et sont exclues progressivement des déclarations fiscales. Même des femmes mariées qui mentionnent leurs biens personnels se sont vues inclure dans les déclarations de leur mari. De même, le nombre croissant de contribuables qui ne présentent pas de déclarations (les arbitradi) entraîne la disparition progressive de la mention des femmes comme cheffe de famille.

Une analyse quantitative sur le travail des femmes a pu être effectuée par les chercheurs via les documents disponibles. La part des filles parmi les enfants exerçant un travail de services permet de constater qu'elles sont les plus nombreuses entre les âges de 15 à 19 ans. Cela peut être expliqué par le fait que, durant cette tranche d'âge, les garçons partent en apprentissage, laissant ainsi les filles occuper le plus grand effectif en termes de services. Ces chiffres s'inversent ensuite dans la tranche de 20 à 24 ans, âge correspondant au retour de l'apprentissage des garçons, et à l'installation des filles dans un autre foyer. 

La division du travail, elle, apparaît comme étant assez genrée, avec une part plus importante de femmes embauchées comme domestiques lorsque le chef de famille exerce une profession de type intellectuel, et inversement d'hommes employés lorsque le chef travaille dans le manuel. Également, quand le chef de ménage est une femme, elle embauche plus fréquemment des femmes, démontrant qu'il y a une réelle tendance à se regrouper en milieu féminin lorsqu'une femme devient veuve et occupe le rôle de cheffe de famille.

Ces données nous montrent donc que le travail des femmes est bien existant, mais pourtant il reste assez caché, si l'on s'intéresse aux déclarations des chefs de famille. Plusieurs exemples peuvent être cités qui en 1462 déclare dans une lettre qu'il effectue les dépenses de bouche avec sa femme pour leurs 6 enfants, mais qu'il nourrit son foyer de ses propres mains seulement, sans considérer donc que sa femme travaille aussi. Egalement, nous avons la déclaration d'un certain Francesco dito Moschatel, dont la femme file de la laine, qui se plaint d'être infirme et de ne pas pouvoir travailler, mais indique également vendre sur la place avec sa femme. Il semble donc ne pas considérer qu'un travail que sa femme peut effectuer est un travail au sens propre. De 1434 à 1449, nous avons cette fois-ci le parcours d'un épicier fromager à travers des lettres qui, dans un premier temps, écrit qu'il n'a dans son foyer que lui et sa nièce de 5 ans, qui n'a rien au monde à part elle-même, et qu'il subvient donc entièrement à ses besoins. Des années plus tard, dans une autre déclaration, il explique que sa nièce est partie en mariage, et qu'il a besoin d'une autre femme pour le servir à son foyer. Nous comprenons donc que, pendant tout ce temps, c'est sa nièce qui effectuait cette tâche, sans qu'elle ne soit désignée comme travailleuse. Enfin, nous avons l'exemple d'une déclaration de femme, des documents beaucoup moins fréquents que ceux des hommes. Elle explique que son mari est décédé, qu'elle est endettée et que tous ses biens ont été vendus. Ayant dû abandonner son activité au four de boulangerie à cause de la fatigue, il ne lui reste que le rouet pour tenter de recouvrer ses dettes. Nous constatons ainsi que l'activité des femmes n'est pas désignée comme telle, et qu'elle n'est pleinement visible que lorsque la femme fait elle-même la déclaration.

Les femmes devenues veuves ont donc une situation qui semble plus précaire que lorsqu'elles n'étaient pas cheffes de famille. Cependant, nous pouvons observer quelques exceptions. Par exemple, le cas d'une femme nommée Agnola, dont le portrait décore une voûte, et surtout avec une indication précise de sa profession en dessous, à savoir mercière, ce qui est un cas assez rare à cette époque pour une femme. Elle était en effet considérée comme la plus grande mercière du premier tiers du XVe siècle, et possédait son propre « fief » urbain, avec une quantité importante de maisons. Si une grande partie des femmes se classent, après la mort de leur mari, parmi les situations économiques les plus précaires, certaines veuves peuvent réussir encore plus en ville, et acquérir une véritable agentivité.

 

Haut de page

Télécharger le pdf

Lien vers le PDF!

Commentaires (0)