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Répartition confessionnelle à Fribourg de 1850 à 2017.

Compte rendu d'Emma Peillard-Poveda, de Prescillia Da Silva et de Cassandra Teigny

Séance présentée par M. Saly-Giocanti

 

Pendant cette séance nous allons nous intéresser à la migration protestante dans la ville de Fribourg. Cette interrogation se fait sur la base de l’ouvrage de Natacha Lillo : L’immigration européenne en France, angle mort de la recherche. Sa thèse est que l’immigration blanche serait invisible. Que veulent dire les termes « immigration blanche » et « immigration invisible » ?

Ces expressions font échos aux travaux de l’historien Philippe Rygel, Le temps des immigrations blanches. Ce terme peut surprendre, nous avons l’habitude de parler plutôt d’immigrations européennes, plutôt que blanches. Dans la bibliographie anglo-saxonne, il est plus courant de parler de white ou black.

Nous allons étudier comment, au début du XXe siècle dans une ville très majoritairement catholique du sud-ouest de l’Allemagne, l’immigration protestante a été perçue comme une menace par les élites locales. C’est à partir des cartes de Fribourg-en-Brigau que nous tenterons de saisir la visibilité ou l’invisibilité de l’immigration blanche. Fribourg se situe au sud du pays de Bade, au cœur de la Forêt Noire. La ville a connu une très forte croissance entre 1850 et aujourd’hui. Au début du XIXe siècle, elle est peuplée d'à peine 2 000 habitant.e.s, ce n’est qu’un petit bourg et sa croissance est lente. Après 1850 la population augmente rapidement pour atteindre le seuil des 100 000 habitant.e.s. Cette forte croissance est due essentiellement à l’immigration et dans une moindre mesure à la natalité. En 1870, l’Allemagne a besoin de main-d’œuvre pour les besoins de l’industrialisation galopante, le pays devient une terre d’immigration. Les populations rurales se dirigent vers les villes où se concentrent les usines. La croissance de la population urbaine en Allemagne s’accompagne généralement d’une extension des limites administratives des villes qui annexe les communes limitrophes. C’est le cas notamment à Fribourg dont le territoire s’est beaucoup étendu depuis deux siècles. Cette croissance territoriale est très caractéristique de l’Allemagne à la différence de la France. Les limites administratives de Paris n’ont plus bougé depuis 1860.

        Pour des raisons politiques historiques, l’Allemagne connaît une ségrégation confessionnelle entre le nord majoritairement protestant et le sud essentiellement catholique. A l’échelle locale la répartition confessionnelle est plus complexe encore. Il est courant de trouver des communes à dominante protestante dans des régions très catholiques.  Il y a aussi des espaces de mixité confessionnelles.

        Nous allons nous demander quelle est la visibilité de cette immigration protestante dans l’espace urbain et dans quelle mesure est-elle perçue comme une menace par une partie des catholiques ?

 

I - La recomposition confessionnelle dans un contexte de forte immigration et d’hyper industrialisation

 

L’Etat allemand a très tôt mené des enquêtes de statistiques. La première exercée sur le territoire fût menée par le Reich unifié dès 1871. Dès 1905, la ville moyenne de Fribourg dispose de son propre service de statistique et mène des enquêtes de terrain auprès de la population en produisant des recensements effectués environ tous les 5 ans. De plus, à partir de cette année-là, les statistiques se font par Stadtteile, l’équivalent des îlots rassemblés pour l'intérêt statistique en France. C’est une entité administrative qui n’a pratiquement pas évolué depuis sa création. Les protestant.e.s favorisent leur installation dans les nouveaux quartiers industriels en périphérie de la ville. Cette population provient de différentes régions du Reich comme la Prusse, le Wutemberg ou l’Alsace.Les femmes sont davantage originaires de proches régions tandis que les hommes ont tendance à se déplacer sur de grandes distances. 

En 1820, la ségrégation confessionnelle est encore très marquée dans le Pays de Bâle. Les catholiques sont très majoritaires (de 90%) dans beaucoup de communes, mais il n’est pas surprenant de trouver tout près de celles-ci des communes où les protestant.e.s sont à leur tour majoritaires de plus de 90% de la population. La répartition varie fortement d’un village ou d’une ville à l’autre mais la mixité confessionnelle au sein d’une même commune se fait rare.

En 1850 se trouve à Fribourg 88% de catholiques. Pourtant, à l’ouest de la ville se trouve la commune de Tiengen où la population protestante représente plus de 70% des habitant.e.s.

En 1922, Fribourg reste une cité catholique mais la mixité confessionnelle ne cesse de progresser.

Entre 1870 et 1880 les mariages entre catholiques et protestant.e.s sont rares. Un demi-siècle plus tard, c’est un tiers de ces populations qui avaient recours à des mariages mixtes d’après les registres de mariages catholiques et protestants. Cependant, un certain nombre de données ont été détruites durant la Seconde Guerre mondiale.

Lors des recensements de la ville, seules les populations catholique et protestante luthériennes (Evangelischen) ont été identifiées, les autres catégories confessionnelles ont été invisibilisées. Notamment, les populations juive ou musulmane ne sont pas identifiables puisqu’elles ont été recensées dans le groupe “autres confessions” alors que cette catégorie n’a cessé de croître. Comme on peut l’apercevoir sur le graphique, en 2017, la population chrétienne ne représente plus que 55% des habitant.e.s tandis que la catégorie “autre” représente les 45% restants.

Une partie de cette seconde catégorie regroupe la population musulmane, essentiellement turque, venue emménager lors de la Seconde Guerre mondiale.

C’est donc les confessions assignées à la catégorie “autre” qui sont invisibilisées des statistiques allemandes.
 

II - La population protestante dans l’espace public : une minorité invisible ? 

 

Nous savons donc que de nombreux et nombreuses protestant.e.s vivent à Fribourg mais une question se pose : ces protestant.e.s sont-ils visibles dans cette ville majoritairement catholique ? 

Afin de répondre à cette interrogation il faut définir ce que l’on entend par visible ou invisible. Ici il est question d'appréhender la représentation des protestant.e.s dans l’espace urbain, les potentiels signes de leur présence, notamment dans l’architecture de Fribourg mais également dans les espaces médiatiques et intellectuels.

Le signe le plus visible de la présence de protestant.e.s sur les plans de la ville est la présence d’églises. En 1905 on dénombre 15 églises catholiques et 4 églises protestantes. Grâce aux érudits locaux l’histoire de ces bâtiments religieux est bien renseignée, nous savons quand ils ont été construits et surtout pour quelle communauté confessionnelle. On observe que même dans des quartiers a plus de 90% catholique on trouve des lieux de culte protestants. En 1955, avec la croissance démographique de la ville, le nombre d’églises a augmenté, il y a dorénavant 21 églises catholiques et 9 églises protestantes. Le nombre de lieux de culte protestant croît à mesure que la population protestante augmente dans la ville. On peut donc conclure que la communauté protestante gagne en visibilité tout au long du XXe siècle. 

En 1993 on dénombre 64% de lieux de culte catholique à Fribourg, 25% de lieux de culte protestant, 5% de lieux de culte musulman et 6% de lieux de culte juif. Dans l’espace public cela se traduit par une surreprésentation de la population catholique, une sous-représentation de la population protestante (car bien qu’elle soit représentée par quelques lieux de culte on ne prend tout de même pas conscience de l’importance de cette population dans la ville) et une invisibilisation des autres religions (islam et judaïsme notamment). Il semblerait donc qu’on ne puisse pas parler d’invisibilisation de la population protestante au sein de la ville de Fribourg mais simplement d’une moins grande visibilité que celle des catholiques, qui sont la majorité confessionnelle historique. 

A l’instar de la représentation dans l’espace public, il semblerait que les protestant.e.s soient également sous-représenté.e.s dans la presse locale. Grâce à la numérisation de nombreux journaux il est possible de les analyser, permettant ainsi de constater une nouvelle fois la sous-représentation de la population protestante : entre 1890 et 1949 on dénombre seulement 56 apparitions de termes liés au protestantisme. De plus, on peut observer que lorsqu’il est question des protestant.e.s au sein de la presse locale c’est souvent en rapport avec des thèmes comme l’économie, tandis que les apparitions de termes liés au catholicisme sont eux régulièrement liées à des questions de cultes. 

L’évocation des protestant.e.s dans la presse badoise est donc, par rapport à celle des catholiques, largement sous représentée durant la première moitié du XXe siècle. Toutefois, cela change après 1945, la mixité confessionnelle croissante contribue sûrement à donner une plus grande visibilité à l’ensemble des chrétien.ne.s et à réduire les différences de traitements entre catholiques et protestant.e.s, rendant ces dernières de plus en plus rares. 

 

Ainsi, nous pouvons relever que la croissance de la ville s’est faite en parallèle de celle de la représentation du culte protestant. Bien que Fribourg soit une citadelle catholique, sa mixité est grandissante, ainsi que dans les familles.

Comme nous l'avons précédemment démontré à travers les statistiques, la représentation des lieux de culte dans l'espace urbain ou encore la dénomination de catégorie confessionnelle, ce sont les "autres" confessions qui sont invisibilisées. En ce qui concerne le cas de Fribourg, l’immigration protestante n’est pas invisible mais sous représentée par rapport à la confession catholique.

 

 

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