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Le Commerce en Europe du Nord-Ouest au Haut Moyen Âge
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Séminaire présenté par M. SHERMAN

Introduction

Un poème de Giovanni Frescobaldi daté entre le XIVème siècle et le XVème siècle donne des conseils de discrétion pour les Italiens commerçant en Angleterre. Il y décrit les problèmes rencontrés par les marchands étrangers. Les compagnies italiennes sont présentes jusqu’au XVIIème siècles sur l’île et font partie de l’élite des marchands durant cette époque. Dans ce poème, sont mentionnés de nombreuses pétitions et d’ordres royaux envers les étrangers venant à Londres.

De nombreuses pétitions ou décisions royales concernent les marchands italiens. Il s’agit de tentatives pour réduire le champ d’action de ces marchands qui avec leur implantation durableetleur fort pouvoir d’achat, menaçaient les marchands anglais. Par exemple, les Anglais portent plaintes contre l’activité des courtiers étrangers tout en demandant l’interdiction de cette pratique. La laine et les draps étant les produits privilégiés des commerçant locaux. Il y a un achat en grande quantité de la part des Italiens permettant une baisse des prix des marchandises. Le privilège financier que possède les marchands italiens par rapport au marchands anglais amène cette volonté de décisions dans un but de régulariser les prix et la part des étrangers.

Historiographie

Michael Prestwich1 étudie le rapport guerre/finance sous le règne d’EDOUARD Ier avec des compagnies italiennes : Les Ricciardi de Lucques, les Frescobaldi les Bardi et les Perruzzi de Florence. De 1294-1307, Édouard Ier laissa une ardoise aux Ricciardi, puis aux Frescobaldi de 200 000 £. Les relations entre le roi anglais et les compagnies italiennes sont purement financières. Avant 1272, ces relations ne sont que d’ordre marchande, c’est-à-dire dédiées à l’achat de produits de luxe. Plus tard, les rapports changent. En effet, comme le roi a dû emprunter des sommes conséquentes pour financer ses guerres, les compagnies italiennes deviennent les créanciers du roi.

Edouard Ier s’endette d’abord auprès des Ricciardi par rapport à la croisade. Dès 1274, il doit les rembourser. Sa méthode est de leur attribuer des impôts les intégrant à une partie de son administration royale. Ainsi, le droit de douane leurs rapportent 10 000 £. Ils perçoivent les taxes et les revenus des laïcs et des clercs.

Les Ricciardi effectuent également des paiements à des tiers pour le compte du roi, celui- ci leurs donne des ordres de paiements2 qui payent ces débiteurs. Les Ricciardi représentent, alors, une part importante des finances de l’Etat, basée sur les taxes/impôts des Anglais. Ce rapport avec le roi leur offre des privilèges. Ainsi, ils peuvent utiliser les tribunaux de l’échiquier du roi pour poursuivre leurs débiteurs et obtiennent un accès au marché de la laine. Pendant vingt annnées, ils détenaient la moitié des contrats sur le travail de la laine, ce qui provoque des plaintes des marchands anglais contre cette monopolisation. Tout comme les autres compagnies italiennes, les Ricciardi font faillite car le roi ne rembourse pas ses dettes. Ces familles sont rapidement remplacées par d’autres familles marchandes.

Richard Goldthwaite3 décrit ces relations comme étant similaires à celle d’un roi avec ses vassaux, étant donné que ces derniers financent le souverain en échange de privilèges. Il a calculé que les Bardi ont prêté environ entre 530 000 £ et 900 000 £ à la couronne d’Angleterre, soit le tiers des revenus de la ville de Florence.

La création des premières agences par les Bardi et les Salviati

Tous les liens familiaux sont utilisés pour le commerce. A Florence et à Pise en 1427 , des banques sont créées, suite à la conquête de la ville par Florence qui devient un port permettant un accès maritime pour le commerce. Pise est prise par les Florentins en 1406 Dans la même idée, en 1445, se développent à Londres des agences et des compagnies. On observe une volonté des familles d’avoir un accès rapide à la laine mais aussi de mettre en place un lien en péninsule italienne et ibérique à travers les différentes agences telle que celle de Barcelone. Ils ont également une agence à Bruges qui durant cette époque était beaucoup plus puissante que Londres.

De Roover explique que Londres était un satellite de Bruges et les agences avaient pour habitude d’avoir des deux côtés de la mer des agences jumelles par exemple celle des Bardi de Londres et celle des Bardi de Bruges. Au début, les Salviati n'avaient pas d’agences à Bruges mais étaient en lien fort avec les Da Rabatta car ils ont investi dans cette agence.

A Londres les marchands italiens ont plus de liberté de manœuvre qu'à Bruges comme le montre l’étude de Peter Stabel. Il étudie les courtiers à Bruges, plus précisément la comptabilité d’un courtier marchand Wouter Ameide de Bruges et démontre le caractère indispensable des locaux dans la conclusion des affaires. Le courtier sert d’intermédiaire nécessaire entre les marchands et il reçoit un pourcentage. Les marchands banquiers italiens n’occupent pas les mêmes positions entre Londres et Bruges. A Londres, les courtiers italiens ont une forte présence, contrairement à Bruges, expliquant l’avènement d’émeutes à leurs encontre. Ils sont en concurrence mais malgré tout en coopération vu que tout se déroule à l’étranger.

Sources

Une source littéraire est utilisée, à savoir le Poème de Giovanni Frescobaldi, Florentin installé à Londres, XIVe-XVe siècles, dont l’intérêt a été présenté en début de compte-rendu de séance. Sont mobilisés les registres des entrées et des sorties de la famille des Salviati de 1454 à 1458.

Les émeutes anti-italiennes.

Les origines des émeutes.

La fin des années 1450 voit l’apogée des émeutes qui met à mal l’économie des marchands italiens. Celle-ci commença par une, soi-disant, affaire d’adultère d’un génois et d’une anglaise mariée, l’amant fut tué. Les marchands italiens font face aux premières émeutes à partir de 1456.

Il faut savoir que ces manifestations anti-italiennes soulèvent un point intéressant. L’Italie du Moyen Age est un regroupement d'États, de cités et de communes, plus ou moins en paix. Ainsi, on ne se dit pas ‘Italien’ mais Florentin, ou Génois par exemple. Cependant, dans le mécontentement général, les marchands venants d’Italie sont regroupés sous la bannière d’« Italien ». L’aspect également important est que ces émeutes se déclarent contre des dominants par des dominés, et non l’inverse que l’on perçoit habituellement : les compagnies italiennes dominant le secteur économique. Avec ces émeutes se montre un caractère trans- territorial précoce des familles italiennes, à savoir l’organisation d’une multipolarité.

Dans l’historiographie, on met en lien ces émeutes avec la construction monarchique anglaise. Alwyn Ruddock étudie l’aspect anti-étrangers à Southampton et Londres et a montré les aspects anti étranger de la cour anglaise quand cela les arrangeait, souvent dans les moments où le royaume était trop endetté.

Sylvia Thrupp4 étudie le « contexte social où se situent les activités des marchands ». On apprend d’elle que les « marchands » sont presque un groupe social à part entière, ayant un rôle politique et social assez important. Contrairement aux compagnies italiennes, les marchands londoniens ne forment pas de ‘dynastie commerciale’, c’est pourquoi l’immigration joue un rôle, quasi primordial, dans le renouvellement des élites commerciales. John Cantelowe, issu d’un lignage de riches merciers, devenu Alderman - qui veut dire "magistrat municipal" - négocie avec les Italiens depuis longtemps. Dès les années 1430, il fait des échanges de laines avec les Spinelli de Florence, ce qui fait de lui un acteur important de ce commerce.

Anne Sutton5 étudie le travail des merciers de Londres et catégorise John Cantelowe comme un anti-italiens, mais il ne le devient que bien plus tard. Mais les Cantelowe, est responsable d’avoir lancé tous les petits artisans anglais contre les Italiens.

Se défendre contre les émeutes : à l’échelle de la famille Salviati

Les Salviati prennent des mesures pour répondre aux dangers. Dans les registres d’entrée et sortie en espèce de la caisse, on perçoit des dépenses alimentaires. Ces registres démontrent que des affaires ont lieu autour de la table, facilitant les relations avec les voisins, chose nécessaire en territoire étranger. Il est indiqué que d’autres personnes sont invitées dont les Cantelowe. Pour 4 ans et demi 1453-58, l’entrée et la sortie des caisses représentent plus de 1 000 registres. Les courses sont faites par des Anglais et le cuisinier est souvent un Allemand, démontrant qu'il y a des relations avec des étrangers au sein de Londres. Le 24 juin 1454 et 1455, le jour de la Saint Jean, saint patron de Florence, on perçoit une hausse des dépenses italiennes pour organiser la procession dans le quartier.

Le terme d’émeute en italien signifie “levée des peuples” démontrant le caractère dangereux contre les italiens. Ils se font agresser dans leurs maisons et des marchandises sont volées. De 1456 à 1458, la famille fait moins de dépenses pour la fête du saint patron. Ainsi, ils respectent les conditions du poème, comme être humbles.

De plus, en novembre 1456, les courses alimentaires ne sont plus réalisées tous les jours, par peur de se faire molester. On perçoit une hausse des repas de conciliation, surtout entre italiens. Et l’on prend la décision de se protéger physiquement en payant un garde.

Néanmoins, les marchands italiens utilisent des réseaux d’interconnaissance afin de s’échapper et pour réparer les dégâts, démontrant une collaboration entre Florentins et Génois.

Se défendre contre les émeutes : à l’échelle nationale

Le 18 juillet 1457, les Riccardi envoient une lettre à Jacoppo Salviati et Averardo, qui sont partis de Londres et de Bruges en 1456. Les Italiens coalisés en 1457 font pression sur les autorités anglaises. Un rassemblement de marchands italiens envoie une lettre au roi anglais afin qu’il calme les émeutes, en menaçant de quitter Londres pour Winchester. On mentionne également cette menace dans le décret du Sénat vénitien du 23 août 1457. Comme les attaques se sont un peu calmées, ils ne quittent pas Londres.

 

  1. Michael PRESTWICH , War, Politics and Finance under Edward I, London, Faber and Faber, 1972.
  2. « D'un point de vue administratif, un ordre de paiement est une instruction formelle donnée à un comptable public par un ordonnateur (maire, directeur de services financiers, président d'un Conseil général...) de payer un fournisseur ou un prestataire, après constatation que les biens ont été livrés ou les services fournis », Bourse des crédits.fr.
  3. Richard A. GOLDTHWAITE, The Economy of Renaissance Florence, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2009.
  4. Sylvia L. THRUPP, The Merchant Class of Medieval London (1300-1500), Chicago, University of Chicago Press, 1948.
  5. Anne F. SUTTON, The Mercery of London: Trade, Goods and People, 1130-1578, Aldershot, Ashgate, 2005.

 

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