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Édit de Fontainebleau (1685)
AN, AE/II/887. Première page de l’édit de Louis XIV portant révocation de l'édit de Nantes, dit édit de Fontainebleau (1685). © Archives nationales.

Alors que la question protestante semblait entérinée depuis la promulgation de l’édit de Nantes en 1598, Louis XIV mit brutalement fin en 1685 au régime de tolérance religieuse dans le royaume. Toutefois, cette décision ne fit pas disparaître du jour au lendemain la population huguenote. Se posa donc la question cruciale de l’application concrète de cette politique : comment mettre un terme à un régime de tolérance civile et convertir les protestants ? C’est précisément à ces questions que s’attache le livre de Pierre-Benoît Roumagnou.

 

Pierre-Benoît Roumagnou

Pierre-Benoît Roumagnou est agrégé et docteur en histoire moderne. Il a soutenu sa thèse de doctorat en 2018 sous la direction de Reynald Abad, intitulée Les justices seigneuriales d’Île-de-France et le crime, du règne personnel de Louis XIV à l’aube de la Révolution. En 2024, il publie aux Presses Universitaires de France un ouvrage intitulé Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685, consacré à la répression religieuse par la police ayant suivi la révocation de l’édit de Nantes.

 

Les sources

Les sources mobilisées dans cette étude proviennent de divers fonds constitués par les administrations monarchiques, tels que ceux de la lieutenance générale de police du Châtelet (série Y), du secrétariat de la Maison du Roi (série O/1/1-749), ainsi que de collections documentaires consacrées au premier lieutenant général de police, Gabriel-Nicolas de La Reynie, au commissaire Nicolas Delamare, ou encore aux correspondances du procureur du parlement de Paris.

 

Une historiographie de la police et des protestants lacunaire

À la fin du XVIIe siècle, les institutions monarchiques étaient en mutation. Parmi elles, la police amorça, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, un processus d’institutionnalisation. Pourtant, la police du second XVIIe siècle demeure relativement peu étudiée dans l’historiographie. Pierre-Benoît Roumagnou situe cette évolution – dans le passage d’une police communautaire, fondée sur l’écoute et le conseil, à un organe administratif centralisé et autoritaire – entre la Fronde (1648-1653) et l’institution de la lieutenance générale de police du Châtelet (1666-1667). S’agissant de l’historiographie du protestantisme en France à l’époque moderne – comme celle de la police – le second XVIIe siècle demeure relativement peu étudié. Partant de ces constats, le chercheur a recentré son étude sur la révocation de l’édit de Nantes et ses conséquences immédiates. Bien que cet événement ait été particulièrement bien documenté par l’historiographie, il offre l’opportunité de porter un regard renouvelé sur cet objet par le prisme du rôle de la police, ses modes d’action, et la manière dont elle met en œuvre, sur le terrain, les décisions émanant du pouvoir politique.

 

À la veille de l’édit de Fontainebleau : restrictions et surveillance de la « religion prétendue réformée »

Dans les années précédant la promulgation de l’édit de Fontainebleau, les protestants furent attaqués sur le plan juridique par de nouvelles interprétations plus restrictives de l’édit de Nantes, réduisant progressivement leurs droits, la monarchie cherchait ainsi à favoriser le catholicisme. Les protestants étaient contraints de participer aux processions catholiques et les fêtes religieuses catholiques devaient obligatoirement être chômées. Le pouvoir royal s’organisa également pour freiner la diffusion du protestantisme, notamment en interdisant les établissements d’enseignement huguenots. Enfin, les protestants furent progressivement exclus de la vie sociale, se voyant interdire l’exercice de certaines professions, telles que sage-femme ou encore les métiers du droit, pourtant essentiels pour assurer leur défense devant une cour. À la veille de la révocation de l’édit de Nantes, la police joua un rôle de surveillance, espionnant les lieux de culte, de travail et d’assistance. Les officiers de la lieutenance générale de police du Châtelet étaient également chargés de la saisie des livres jugés prohibés, ainsi que de la diffusion de ceux recommandés par l’archevêque de Paris.

 

1685 : la traque des protestants par la police

Le soin de la conversion de la population huguenote au lendemain de l’abrogation de l’édit de Nantes fut laissé à la lieutenance de police de Paris, alors sous les ordres de Gabriel-Nicolas de la Reynie. En l’espace de quelques semaines, les commissaires de police établissent, rue par rue, des listes de protestants. Ils parviennent à en identifier plusieurs milliers, en recueillant des informations telles que le nom, le prénom, l’adresse, la profession, l’origine sociale et géographique, etc. Cette entreprise de fichage à grande échelle avait pour finalité de constituer des leviers de pression à l’encontre des protestants. Ces derniers font également l’objet d’intimidations, telle que l’interdiction d’ouvrir leur boutique ou encore l’envoi d’un huissier de justice chez eux. Par ailleurs, certains protestants font aussi l’objet de mise sous écrou dans divers lieux d’enfermement de la capitale tels que la Bastille, un couvent ou même le domicile d’un policier, en attendant leur conversion. Ces multiples moyens de pression ont permis, en février 1686, selon la lieutenance générale de police du Châtelet, de faire chuter le nombre de protestants dans la capitale, passant de 9 000 à seulement 46 individus. Ce nombre, bien que sans aucun doute faux, interroge la véritable valeur d’un acte qui « officialise » une abjuration, en mettant en doute la sincérité de ses signataires. Tout en rendant des comptes, les statistiques produites visent à légitimer l’institution qui les a établies, à savoir la lieutenance générale de police de Paris.

 

Échapper à la police : le départ des protestants du royaume

Les protestants qui souhaitaient fuir dissimulaient leur identité en changeant de patronyme et leur religion en assistant à la messe. Ils firent également appel à des guides pour les accompagner jusqu’à un pays dit de « refuge », c’est-à-dire à majorité protestante. Un véritable marché du passage se développa alors, où les guides fixaient leurs tarifs en fonction des services et du niveau de risque encouru par ces derniers. Pour faciliter les passages, les guides pouvaient utiliser des documents officiels ou recourir à des faux, grâce à la complicité d’un prêtre, afin de duper les autorités. La traque des protestants n’était désormais plus une question de contrôle territorial, mais de gestion des flux. Ainsi, la lieutenance générale de police du Châtelet recruta des militaires, déchargés de la tâche de combat, pour mener des filatures. Les ambassadeurs français établis dans les pays huguenots sont par ailleurs de précieux pourvoyeurs d’informations, car ils maintenaient un réseau d’espionnage efficace. À la fin de l’année 1686, les départs de familles protestantes depuis Paris devenaient de plus en plus rares. Toutefois, la police n’avait pas encore terminé sa traque des pratiquants de la « religion prétendue réformée ». Après un exil prolongé hors du royaume, plusieurs pasteurs retournaient en France. Ceux qui étaient démasqués et arrêtés par la police parisienne étaient alors envoyés aux « oubliettes » – lieux d’enfermement très éloignés comme Pignerol, les îles Sainte-Marguerite, etc. – où ils finissaient souvent leurs jours.

 

La surveillance des nouveaux convertis

Comme ce fut le cas dans la péninsule Ibérique médiévale pour les juifs convertis (conversos), les protestants ayant abjuré faisaient l’objet d’une surveillance étroite de la part des autorités. Dans le même temps, le tarissement des flux huguenots laissa aux policiers parisiens le champ libre pour quadriller de nouveau, et de manière très précise, l’ensemble de la ville. Les policiers veillaient notamment à ce que les nouveaux convertis assistent à la messe. Nonobstant, à partir de la fin des années 1680, la surveillance policière des protestants et des nouveaux convertis tendait à se relâcher, malgré quelques sursauts sporadiques entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, dans des contextes particuliers.

 

Conclusion

L’ouvrage de Pierre-Benoît Roumagnou offre une lecture novatrice de l’histoire de la révocation de l’édit de Nantes, en s’attachant à analyser de manière précise la mise en œuvre concrète de la répression religieuse par la lieutenance générale de police du Châtelet. S’appuyant sur un corpus riche et diversifié, l’auteur montre comment la monarchie absolue, par l’intermédiaire d’une police en voie d’institutionnalisation, a cherché à éradiquer le protestantisme non seulement par la contrainte, mais également par un contrôle social et territorial. Les recherches menées s’intéressent aussi à l’organisation clandestine de la population huguenote pour fuir le royaume, en dépit de l’interdiction formelle qui pesait sur elle. En croisant histoire religieuse, politique et policière, Roumagnou renouvelle ainsi notre compréhension des logiques de pouvoir et de contrôle dans la France du second XVIIe siècle.

 

Idriss CHAÏR

Masterant en histoire moderne

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