Cette séance portait sur la question des salaires au Moyen Age, et ce que les gens de l’époque comprenaient derrière ce terme. La séance était animée par Matthieu Scherman, maitre de conférences à l’Université Gustave Eiffel. Cette séance reprenait les thèmes de recherche de Matthieu Scherman. En effet, ce dernier a soutenu une thèse en 2007 intitulée Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen âge (1434-1509), dirigée par Mathieu Arnoux à l’Université Paris 7. Ce travail a mené à la publication d’un ouvrage en 2013, qui porte le même titre que la thèse. Il s’agit d’une question qu’il travaille encore aujourd’hui dans ses différents travaux de recherches.
Dans cette séance, la question de la notion de salaire était au cœur de la réflexion. Matthieu Scherman a ainsi évoqué la manière dont les marchands et les artisans du Moyen Age pouvaient considérer le salaire. Un premier exemple de sources a été abordé, à savoir des déclarations fiscales laveur de laine Trévisan, entre 1448 et 1474. Ces dates correspondent aux déclarations que cet artisan a rédigé pour Venise, qui contrôlait Trévise à cette époque. Ces déclarations rendent ainsi compte de la situation de cet artisan, de sa famille, et surtout de ses rémunérations. Au début de la période, il semble surtout être rémunéré en argent. Ces sources permettent aussi de connaitre des éléments de l’histoire politique de cette époque. En effet, en 1474 cet artisan évoque qu’il est moins payé en argent, mais en draps, qu’il doit ensuite revendre. Ce fait s’explique par une mesure fiscale imposée par Venise en 1472, qui a eu pour conséquence un assèchement du numéraire en circulation en Terre ferme, et donc les entrepreneurs textiles avaient plus de difficultés à payer en argent, ils le faisaient en nature. C’est donc le cas pour cet artisan, qui témoigne d’une certaine connaissance de l’économie de son époque car il comprend qu’il est perdant dans cette affaire.
Une difficulté importante soulevée durant cette séance résidait dans le fait de savoir ce que les gens de l’époque entendaient par le terme de salaire. Il restait à savoir si une déclaration fiscale par exemple peut servir ce but pour l’historien ou l’historienne. Différents exemples ont alors été abordés, à commencer par un texte intitulé le Mesnager de Paris, rédigé en 1393 par un bourgeois parisien. Dans ce texte, ce bourgeois explique comment il fallait employer ses domestiques, ainsi que la manière de les rémunérer. Il emploie par exemple directement le terme de salaire lorsqu’il évoque les rémunérations qu’il préconise pour ses employés, qu’il nomme également salariés.
En revanche, le plus souvent le terme de salaire n’est pas explicitement évoqué dans les sources, il faut savoir interpréter ce que les gens écrivaient pour le trouver. L’exemple de Philippe de Commynes, un noble et marchand français qui a vécu à la fin du 15ème siècle peut servir pour saisir cette nuance. Philippe de Commynes a ainsi été un proche conseiller du Duc de Bourgogne Charles le Téméraire, mais également conseiller du roi Louis XI. En récompense de ses services, le roi lui accorde des frais de douane moins élevés pour le transport de ses marchandises entre la France et l’Italie. Ces avantages peuvent ainsi être considérés comme une forme de rétribution en nature, comme un salaire. Cette situation est ainsi évoquée dans l’Acte de confirmation d’une donation, un document produit par une famille de marchands italiens, les Spineli. Le paiement en nature était par ailleurs fréquent à cette époque, que ce soit, comme dans cet exemple, par des avantages douaniers, mais aussi paiement par nourriture ou vêtements. Ces paiements apparaissaient dans les déclarations fiscales, comme nous avons pu l’évoquer avec l’exemple du marchand Trévisan, payé en draps.
Le dernier exemple abordé durant cette séance concerne les comptes de la famille Salviati. Ces derniers étaient une importante famille de marchands de Florence, et ont tenu une grande quantité de livres de compte, conservés aujourd’hui à Pise, qui peuvent servir de source pour traiter cette question. Ces livres de compte employaient la méthode dite de la partie double, dans laquelle toutes les opérations réalisées sont consignées, avec les rentrées et sorties d’argent. Cela nous permet d’avoir accès à toutes les transactions, et surtout dans le cas qui nous intéresse, à qui elles étaient adressées. Deux cas de figure se dessinent avec ces sources. Le premier est celui des employés de la maison, comme le cuisinier ou les domestiques. Ceux-là sont rémunérés en argent, avec un salaire stipulé par un contrat. Ils peuvent parfois être rétribués en nature, mais cela semble être plus rare. Un autre cas de figure correspond aux marchands associés à la famille et qui travaillaient pour elle. Ceux-là ne sont pas payés en argent, mais plutôt en nature. Ainsi lorsqu’ils avaient besoin de s’acheter des vêtements ou de la nourriture, ils pouvaient prendre dans les caisses de la famille. Cela montre deux façons de rémunérer les gens qui travaillaient pour cette famille, avec une différence selon la hiérarchie et la position sociale des acteurs. La limite de cette source réside dans le fait qu’elle ne fait apparaitre que les gens qui travaillent directement pour la famille. Ainsi un exemple d’emballeur pour les marchandises a été développé. Dans ce cas-là, la famille déléguait le travail à un entrepreneur, qui embauchait lui-même des emballeurs, et les payaient comme il le souhaitait. Ces travailleurs, qui dans les faits travaillaient pour les Salviati, sont malgré tout absents de leur compte.
Aurèle Mayer et Mathias Ponelle