Une division genrée du travail :
Douarnenez est une commune de Bretagne qui a connu une forte croissance au XIXe siècle avec le développement de la mono-industrie de la sardine. En 1850, la commune était habitée par 2 000 personnes, en 1914, on pouvait recenser environ 15 000 habitants avec l’explosion de l’économie de la sardine qui était très demandeuse en main-d’œuvre. Surnommée « La baie des sardines » elle possède deux ports, un pour le commerce et l’autre pour la pêche. Le travail était genré, les pêcheurs apportaient en abondance des sardines qui étaient manipulées et mises en boîte dans les manufactures par les ouvrières surnommées « filles de fritures ». L’activité a connu son apogée vers 1920 avant de décliner.
Les ouvrières vivaient dans une situation précaire, elles étaient contraintes de travailler de nuit, car les sardines ne pouvaient pas être entreposées, il fallait les mettre en conserve rapidement. Les femmes travaillaient environ 16 h par jour et terminaient vers 3 ou 4 h du matin. Elles étaient épuisées mentalement en raison du manque de sommeil. Les sardinières rentraient à l’usine vers 10 ans et les activités étaient encadrées par une contremaîtresse. Le chant de travail occupait une place prépondérante pour rester éveillées, cependant certains chants étaient interdits au risque d’être licenciées. L’usage du chant pour rythmer le travail pouvait rappeler les pratiques de travail des esclaves africains dans les champs de canne à sucre.
Les sardinières étaient précaires, d’autant plus lorsqu’elles étaient veuves avec des enfants, la rémunération ne permettant pas de subvenir à leurs besoins. La rémunération variait selon la productivité de sardines. Dans ces conditions, la sororité ouvrière était importante et les principales demandes sociales des travailleuses concernaient leurs salaires. Jusqu’à la grève de 1905, elles étaient rémunérées à la tâche, soit toutes les 1000 sardines ce qui est difficilement quantifiable et atteignable pour les ouvrières les plus âgées. Cette même année, elles obtinrent d’être rémunérées à 0,80 cts de l’heure.
Quelle est la place des travailleuses dans les grèves ?
La première grève générale fut menée par les Munitionnettes en 1917, elles avaient acquis beaucoup de droits sociaux (comme l’augmentation des salaires et la journée de repos le samedi)[1]. Les sardinières de la « Baie des sardines » se mirent en grève générale en 1924 suite à une accumulation de facteurs négatifs. En 1924, une nouvelle grève fut menée pour faire augmenter le salaire de 0,20 cts. Elles revendiquaient aussi la majoration des heures de nuit et le respect de la loi de 1919 qui limitait le temps de travail. Elle fut lancée sans appui des syndicats. Dans un premier temps, les marins ne pouvaient pas se mobiliser, car ils étaient en mer et ils intégrèrent le mouvement après l’appel des syndicats à ne pas partir pêcher. Le mouvement était soutenu par le maire communiste de Douarnenez, Daniel Leflanchek. Le préfet et les directeurs d’usines refusèrent les demandes des grévistes et engagèrent des casseurs de grève. Lors d’une altercation, le maire et des ouvriers furent blessés par balles. Afin d’éviter une escalade de violence et face au scandale de cette action, les patrons accédèrent aux revendications des grévistes. Ils avaient obtenu après sept semaines de grève la majoration des heures de travail, le droit de se syndiquer et de faire grève sans risquer d’être licencié. De plus, la grève des Penn Sardines fut marquée par la place importante des femmes qui représentaient 75 %[2] des grévistes.
Des délégués syndicalistes encadraient et aidaient à la grève, notamment Charles Tillon, syndicaliste à la CGTU qui comparait les conditions de vie des sardinières à celle des mineurs dans Germinal écrit par Emile Zola en 1885. La syndicaliste socialiste, communiste et féministe Lucie Colliard avait soutenu la lutte des travailleuses en facilitant leur participation à la grève. C’est une institutrice qui apporta son savoir de militante et les aida à structurer leurs demandes. Elle les informa aussi sur le prix de vente des conserves par rapport aux coûts de production, elle créa des crèches pour que les femmes puissent aller manifester, organisa le planning familial et des pique-niques. Pour le bon déroulement de la grève, elle se montra plus conciliante avec les pratiques des ouvrières qui allaient à la messe avant de manifester tandis que la CGTU et le PC tenaient des positions anticléricales.
- Ouvrières et syndicats
Historiquement, les femmes étaient exclues des syndicats quasi-exclusivement masculins. Les femmes étaient plus intégrées dans les syndicats chrétiens comme la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ; au contraire, la Confédération générale du travail (CGT) était plus machiste et moins encline à recruter des femmes. À partir de 1920, les femmes pouvaient se syndiquer sans l’autorisation du mari. Elles s’inscrivaient en majorité à la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et la CFTC, cependant ces syndicats étaient moins revendicatifs que la CGT ce qui peut expliquer que les femmes étaient moins présentes dans les mouvements de grève. La CGTU était une branche de la CGT qui avait fait scission avec le syndicat en 1921 après Congrès de Tours.
Les femmes ouvrières intégrèrent un peu plus les mouvements ouvriers communistes pour suivre les indications du Komintern qui souhaitait faire participer les femmes aux élections municipales afin de promouvoir une image de parti qui prônait l’égalité de genre. Ils eurent cependant des difficultés, car tous les maris refusèrent l’inscription de leur femme. La seule qui a pu s’inscrire est une veuve, la sardinière Joséphine Pencalet, elle fut élue en 4e position sur la liste pour neuf femmes élues au total en France. Elle fut une des premières femmes à être élue en France, mais elle fut destituée du Conseil municipal en juin 1925 par le Conseil d’État.
Pour conclure, la grève des Penn Sardines montre la grande précarité et les conditions de travail difficile des ouvrières. Elles ont joué un rôle déterminant dans les grèves de 1905 et 1924 qui étaient toutes deux victorieuses tandis que dans les grèves mixtes, les revendications des femmes étaient souvent occultées. L’implication des femmes dans les mouvements de luttes syndicales montre aussi que celles qui peuvent s’engager et faire du militantisme sont des veuves ou des célibataires. La grève a été marquante, elle a par exemple inspiré la chanson Penn Sardin écrite dans les années 1980 par Claude Michel.
Céline Dago, M1 Histoire recherche
[1]Cronier Emmanuelle, « Grande guerre et société », dans Encyclopedia Universalis, disponible sur www-universalis-edu-com.univ-eiffel.idm.oclc.org : GRANDE GUERRE ET SOCIÉTÉ - Universalis Edu (oclc.org)
[2]BERNARD THEO, « Soviets et salaires : les sardinières dans la grève de Douarnenez (novembre 1924- janvier 1925) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°154, 2022, disponible en ligne sur journals.openedition.org : journals.openedition.org/chrhc/19929 ; DOI : doi.org/10.4000/chrhc.19929