CIPEN

Présentation

Initiation à la recherche
documenter et communiquer son travail

Le nouveau blog du Master Hist(oire)  se veut un outil et une vitrine du travail des étudiant.es inscrit.es dans le parcours du Master Recherche en histoire. L'initiation aux moyens de communication scientifique du XXIe siècle fait partie de ce [...]

#

Verriers d'Altare
Peintre inconnu, second XVIIIe siècle, représentant Saint Philibert, patron de l’Art du verre, donnée pour la chapelle de la corporation d’Altare par les ouvriers de la manufacture royale de Turin.

Compte Rendu de Séminaire écrit par Lechartier Julien et Holvoet-Vermaut Théo

Séminaire présenté par Maitte Corine

Introduction

 

A partir des années 1990 des études menées par des économistes, sociologues, géographes, ethnologues portant sur les phénomènes des migrations sont réalisés, elles se focalisent sur les comportements spécifiques et les migrations à l’époque contemporaine. Cette vogue scientifique portée par des ouvrages comme celui de Tarrius, Alain, Les fourmis d’Europe. Migrants riches, migrants pauvres et nouvelles villes internationales, Paris, L’Harmattan, 1992 où les sujets de la migration translocale et des relations entre migrants et sociétés urbaines sont abordés, permettent de renouveler le champ de la recherche historique. La recherche démographique et migratoire en France est passée par deux étapes. Des historiens comme Pierre Goubert, Michel Fleury et Louis Henry, dans les années 50 avaient établis que la démographie des époques anciennes était une démographie sédentaire (à cause de biais des méthodes de recherche de l’époque). Jean-Pierre Bardet rappelle alors les importantes migrations saisonnières Médiévales et d’Ancien Régime et que les villes d’Ancien Régime sont de véritables « passoires » où beaucoup viennent et repartent (les habitants viennent des campagnes comme nous l’ont expliqué Nicoletta Rolla ou Matthieu Scherman, plus de 70% des habitants n’y sont pas nés).

 

Par exemple la montagne a été un terrain très étudié dans le cadre de ce renouveau historique. Fernand Braudel avait estimé, dans les années 1970, que « La montagne fabrique des hommes à l’usage d’autrui » en reprenant la notion anglo-saxonne de Push&Pull. Dans cette optique la montagne expulserait des hommes (phénomène « Push ») à cause du manque de ressource qui forcerait certains habitants à partir pour travailler (et nourrir leurs communautés) vers les villes attractives (phénomène « Pull »). Ils passeraient ainsi d’une sédentarité à une autre, effectuant une migration définitive. Cette analyse malthusienne est remise en cause dans les années 1990. Viazzo Pier Paolo dans Upland Communities. Environment, population and social structure in the Alps since the sixteenth century, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 explique que les migrations précèdent l’accroissement démographique, à travers l’exemple d’Alagna dans le Val Sesia. Aussi certains villages des Alpes sont les réceptacles d’autres migrations alpines, du fait du célibat élevé et de la basse pression démographique, ou de la migration des hommes vers les villes de la plaine. Ils ne sont pas forcés de quitter leur village, ce sont les départ qui permettent la croissance démographique. D’autres études viennent corroborer ces constatations, notamment Laurence Fontaine dans Histoire du colportage en Europe, XV-XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1993 et dans son article « Montagnes et migrations de travail. Un essai de comparaison globale (XVe-XXe siècles) », dans Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 2005, 52-2, p. 26-49. Elle explique qu’il y a de grands entrepreneurs, qui gèrent les réseaux de colportages dans les villages des plaines depuis les montagnes. Les familles migrantes s’installent dans plusieurs villes, elles viennent travailler pour les entrepreneurs des montagnes (Ce « capitalisme des marges » remet en cause l’idée des « périphéries dominées » car on trouve dans les montagnes de forte hiérarchies sociales). Elle conclut que les réseaux de migrants sont ce qui fait la richesse des montagnes. La sédentarité n’est pas un but, des communautés entières vivent la mobilité comme une ressource. Enfin Paul André Rosental dans « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations », dans Annales ESC, 1990, n°6, p. 1403-1431 explique que la distance n’est pas un facteur de la rupture de liens avec la communauté d’origine.

 

Les verriers d’Altare et Venise

 

Durant l’époque moderne, Venise a développé son industrie du verre avec des innovations importantes qui ont fait sa réputation. La spécialité des verriers vénitiens était d’imiter des produits rares et coûteux en verre tel le cristal de roche, la porcelaine, la calcédoine, les verres islamiques ou encore les miroirs, les compositions chimiques permettaient de produire de la verrerie de luxe en imitant à moindre coût des objets coûteux (le verre étant surtout composé de sable). Cette industrie verrière vénitienne est entrée en concurrence dès le XVIIe siècle avec le LeadGlass (fait à base de plomb) anglais jugé plus pur, ou encore le verre de Bohème. Puis est tombé en déclin au XXe siècle, avec l’arrivée de la Chine dans la production industrielle moins coûteuse encore. Mais durant l’époque moderne, ce verre attirait les cours européennes, on retrouvait des mises en scène de peintures de banquets de La Renaissance où l’on retrouve des objets créés par les verriers vénitiens.

 

                A la fin du XIIIe siècle, les verriers ont été contraint de sortir du centre de Venise, et se sont regroupés sur une île non loin de la ville à Murano, autour d’un même canal, les verriers ayant besoin d’eau pour leur travail, voir pour éteindre les incendies causés par les fours. La corporation des verriers de Venise est l’une des seules d’Italie, les premières sources attestant de son existence datent de 1271, en revanche elle ne possède aucun pouvoir politique, ce dernier appartenant au Patriciat. Francesca Trivellato, dans son ouvrage Fondamenta dei vetrai, Donzeli, Roma, 2000, s’intéresse à cette organisation corporative. Elle constate que le verre s’exporte dans l’ensemble de l’Europe occidentale. En France, les verriers proviennent surtout d’Altare qui se trouve dans le Montferrat. La communauté verrière d’Altare était très importante, l’administration napoléonienne en 1806 lorsqu’elle conquiert la région, recense la population masculine et rapporte que plus de la moitié des hommes recensés étaient des verriers. Corine Maitte dans Les Chemins de verres : Les migrations des verriers d’Altare et de Venise (XVIe-XIXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 étudie le sujet. Altare était organisée en corporation dès 1495. Altare et Murano étaient les deux communautés à avoir une corporation verrière en Italie, Altare n’étant pas une ville, le fait qu’elle possède une corporation (la Ligurie a peu connu le phénomène corporatif) et qu’elle soit une corporation de verriers (très rare) font d’Altare une double anomalie en Italie.

 

Les archives de la corporation d’Altare ont été perdues, en revanche des archives notariées permettent de comprendre les migrations des verriers de Murano et d’Altare. Venise avait une politique restrictive, interdisant aux verriers de quitter la ville (afin de garder la manne économique, néanmoins ils migrent quand même, on en retrouve jusqu’en Suède au XVIe siècle par exemple), à l’inverse d’Altare qui l’autorisait, mais en encadrant les migrations, car elle vivait de cette industrie et de ce commerce. Les verriers d’Altare étaient alors soumis aux lois de la corporation, même en dehors d’Altare, on appelle cela une “migration de maintien”. Les verriers d’Altare allaient en grande partie en Provence (Marseille, Avignon) durant la seconde moitié du XVe siècle et la première moitié du XVIe siècle, puis se sont orientés vers Lyon, Nevers, Nantes, Rouen, Paris, et les Pays-Bas durant la deuxième moitié du XVIème siècle. Les verriers altarais ont une gamme de verres plus large, et se mettent dans certains endroit à produire également de la vaisselle blanche en fayence, là où les verriers de Venise sont spécialisés dans le verre « façon de Venise ». Les verriers qui migrent ne sont pas forcément les plus démunis, ceux qui partent en ont les moyens. C’est toute la gamme de la main-d’œuvre qui se déplace depuis les apprentis jusqu’aux maitres et patrons de fours. Les contrats de travail permettent d’avoir beaucoup d’informations qualitatives. Les verriers utilisent l’espace comme ressource, les migrations définitives des verriers ne sont pas des ruptures, les maitres dans cette situation continuent de payer les impôts à Altare afin d’y garder un rôle politique par exemple. Les verriers altarais en migration temporaire (le temps d’une saison ou bien durant quelques années) viennent travailler chez ces verriers en migration définitive, on parle de migrations emboitées.

 

Les politiques urbaines face à la question des verriers migrants

               

Toutes les villes n’étaient pas toutes favorables à l’arrivée de ces verriers migrants. À Macon en 1583, les verriers étaient accusés par l’échevin d’être porteurs de la peste et d’avoir une activité nécessitant trop de bois (ce dernier étant nécessaire pour faire fonctionner les fours), qui est un matériau de première nécessité (pour le chauffage ou encore la construction), la ville ne pouvant se permettre de faire renchérir le bois en échange de verreries de luxe.

 

                Pour faire face à l’éventuelle opposition des conseils urbains, les verriers s’adressent au roi. Au XVIe siècle, le roi de France offre à tous les verriers gentilshommes le privilège d’exemption de taxes sur les matières premières nécessaires à la production (la soude notamment), mais aussi l’exemption de taxes sur les produits consommables et les produits finis (ce qui représente une économie importante). Les Altarais qui ne sont pas gentilshommes mais qui sont verriers réclament ce privilège, ils l’obtiennent et deviennent ainsi gentilshommes ! À la fin du XVIe siècle, Henri IV, sur les conseils de Laffemas, impose aux verriers de prendre des apprentis français, pour que le royaume de France produise lui-même ce verre (dans une logique mercantile), et puisse s’approprier le savoir-faire italien. Les seuls qui refusent sont les Altarais car la corporation leur interdit de prendre des apprentis non-Altarais (ils se replient alors dans le duché de Nevers, où ils sont installés depuis les années 1580, contrôlé par la famille Gonzague également duc de Mantoue, l’activité verrière s’y développe, les verriers altarais continuant de prendre seulement leurs apprentis), afin que la volonté du roi soit faite, ce dernier les naturalise, les faisant ainsi ses sujets et donc obligés de lui d’obéir, du moins théoriquement.

 

S’intégrer ou ne faire que passer : les attitudes variées des migrants vis-vis des villes

 

Certaines sources (tel un manuel de verrier de Murano bannis pour homosexualité par exemple, trouvé dans les nord de l’Europe, datant du XVIIe siècle) permettent de retracer des récits de verriers migrants qui ne s’intègrent jamais vraiment et semblent avoir rompus les liens avec leurs communautés d’origines. Ou bien alors des souverains qui tentent de faire venir ces verriers, Colbert par exemple veut susciter l’arrivée d’une compagnie d’artisans de miroir de Venise, finalement les verriers qui étaient venu à Paris repartent suite à la mort d’un des leurs et ne laissent qu’un seul maître (qui n’est pas spécialiste de miroirs).

 

Les équipes altaraises ont des relations saisonnières avec les sociétés urbaines dans lesquels ils travaillent, mais elles sont limitées. Chaque années une dizaine d’équipes travaillent le temps d’une saison dans une ville (ou plusieurs). Ils fournissent le marché de consommation de la ville où ils travaillent. Les équipes sont toujours les mêmes, elles sont composées de dix-huit personnes, dirigées par le « maitre de cristal » qui négocie avec des patrons qui eux ne sont pas tous d’Altare. Dans la ville, ils doivent habiter à proximité du four, car le travail y est important, toutes les six heures les verriers tournent (6h de travail -6h de repos). Il y a alors peu de relation qui se font avec la population et donc peu d’archives notariées.

 

                Certains verriers restent plus longuement et s’intègrent dans les villes où ils habitent de façon durable : ce sont les patrons de four en général, mais pas seulement. C’est le cas à Nevers (dit le « petit Murano » français, pourtant tous les verriers sont originaires d’Altare). Les premiers à s’installer sont une association de verriers d’Altare qui s’installent à Lyon dans les années 1580. Puis l’affaire se transfert de génération en génération et la fabrique est construite derrière le palais ducale de Nevers, au cœur de la ville. On peut trouver le même phénomène à Milan.

 

Conclusion

 

Ces migrations ne s’arrêtent pas, elles diminuent au XVIIIe siècle, et à partir de cette date les équipes d’Altare travaillent surtout en Italie. Néanmoins les migrations reprennent au XIXe siècle la possibilité nouvelle des transports intercontinentaux permet l’installation en Amérique latine, notamment au Brésil, en Argentine (beaucoup d’Italiens migrent en Argentine au XIXème siècle) et en Afrique. Les verriers ayant migré créent une société ayant le même nom que celle d’Altare. Récemment, un jumelage a été fait entre la société d’Argentine et le petit village d’Italie.

Commentaires (0)